7. PRÉOCCUPATIONS INTERDITES
Juste derrière.
La hyène est juste derrière lui.
IL sait qu’elle ne renoncera plus.
C’est un jeu qui réclame un gagnant et un perdant.
La hyène accroît l’amplitude de ses foulées. De trot, elle passe au galop, puis au grand galop. IL fait de même. Ses narines en feu entreprennent d’aspirer à toute vitesse de l’air que rejette ensuite nerveusement sa bouche. Ses muscles chauds deviennent bouillants.
La hyène accélère encore. Cette fois, elle est bien décidée à l’attraper. Elle use de toutes ses énergies. IL fouille ses propres molécules en quête de glucose capable de lui fournir un surplus de puissance de course. Mais les lactances de peur ralentissent l’acheminement des glucides. IL sent la panique, cette vieille ennemie, grimper de ses orteils à son crâne et reconnaît cette sensation d’acidité dans les veines que donne l’adrénaline pure.
Les autres ne sont toujours pas là pour bondir à son secours et la hyène gagne du terrain. La panique le submerge. A cet instant, il se produit quelque chose d’étrange. Au summum de sa détresse, un déclic se fait…
Un sentiment… une porte s’ouvre dans son esprit. IL a l’impression de sortir de lui-même et de se voir de l’extérieur. L’impression que cette horreur arrive à quelqu’un d’autre et qu’il l’observe de loin.
Au bout de la panique, IL découvre le détachement. Comme si sa peau n’étant plus viable, il s’en dégageait. IL cesse d’être obnubilé par sa propre survie. Son existence ne lui semble plus qu’un phénomène parmi des milliers d’autres. Ni plus ni moins intéressant que les autres.
IL transcende complètement sa peur de la hyène. IL se dit qu’après tout, il n’a rien contre elle. Cette bête ne cherche qu’à nourrir les siens. Elle doit être tout aussi épuisée et à bout de nerfs que lui. IL perçoit sa crainte de voir son gibier lui échapper. IL sent cette hyène en proie à une peur panique de rentrer bredouille sans rien avoir à donner à manger à sa progéniture.
Normalement, les hyènes ne se nourrissent que de charognes en état de décomposition avancée. Que celle-ci s’attaque à de la viande sur pied est déjà signe de grande ambition. IL se souvient d’avoir observé de loin des groupes de hyènes. IL les a vues nourrir leurs petits en régurgitant de la viande et se souvient de l’immonde odeur qui entoure les festins de ces animaux. En mangeant du cadavre pourri, on en prend l’odeur.
Peut-être est-ce pour cela que sa poursuivante s’acharne ainsi derrière lui, pour sortir son peuple de son odeur de putréfaction en lui rapportant de la viande non faisandée.
IL devrait être fier de participer à un tel élan. Somme toute, se dit-il, lui et la hyène ont la même ambition : Faire évoluer leur espèce. » Obtenir que leurs enfants vivent mieux que leurs parents.
La hyène espère réussir cette prouesse par la chasse. Lui pense réussir cette prouesse en attirant ce fauve dans un guet-apens.
« Faire évoluer son espèce. » Cette volonté est tellement plus intéressante que le souci de « survivre soi-même à tout prix pour être là un jour de plus ». IL se demande s’il ne ferait pas mieux de se laisser manger. Ce serait nouveau comme comportement. La résignation du gibier en vue de l’amélioration des qualités de vie du prédateur. L’idée lui fait un peu ralentir sa course.
Allez : qu’on en finisse. IL ralentit davantage encore. Mais c’est juste à ce moment qu’il distingue un mouvement dans les hauteurs. Comme des oiseaux perchés sur une branche, agitant leurs bras. Leurs bras ?
IL est arrivé au grand arbre ! Et ces drôles d’oiseaux sont ses compagnons qui lui font des gestes pour signaler qu’ils sont prêts.
IL fonce dans leur direction.